A Paris, Dior avait beau afficher en toutes lettres des messages « body-positive » inclusifs, féministes et anti-stéréotypes lors de son défilé de mardi à la Fashion Week de Paris, la minceur reste la norme lors de la plupart des défilés. A commencer par celui de Dior, lors de son défilé mardi dernier. Mais quasiment tous les autres également. Vogue Business rappelle que sur 9.137 tenues dévoilées au cours des 219 derniers défilés à New York, Londres, Milan et Paris, 95,6 % ont été présentées par des mannequins de tailles comprises entre 32 et 36. Les grandes tailles (44 et plus) étaient représentées à 0,6 % et les tailles moyennes (entre 38 et 42) à 3,8 %. Avoir la taille la plus répandue dans la vie courante reste clairement une aberration pour la mode.
Les créateurs « veulent une espèce de corps similaire »
« Les marques refusent toujours de représenter les personnes normales », confie à l’AFP Ekaterina Ozhiganova, 31 ans, mannequin et fondatrice de l’association Model Law qui défend les droits des mannequins. Sollicitée par la délégation des droits de femmes au Sénat français en avril, elle a tiré la sonnette d’alarme sur les risques pour la santé des mannequins, contraintes de maigrir ou grossir à la demande. Alors qu’un sondage inédit rapporte que neuf mannequins sur dix estiment ressentir une pression pour modifier leur apparence « régulièrement ».
« C’est très difficile de verbaliser. Tu peux te plaindre sur Internet et tout le monde va te répondre ‘Chérie, c’est le métier’ », explique Ekaterina Ozhiganova. C’est l’esthétique de « l’effacement du genre » qui fait que les créateurs « veulent une espèce de corps similaire », analyse la jeune femme.
Pour défiler en France, Maud Le Fort confie avoir dû perdre énormément de poids. « On me mesurait quasiment tous les jours. Et plus je perdais de poids, plus je recevais de félicitations. C’était des restrictions énormes », raconte celle qui pesait 49 kg pour 1,81 m, avant de dire non et d’entamer un travail thérapeutique.
« Il est beaucoup plus coûteux de produire et de vendre » pour les grandes tailles
Des textes ont pourtant été adoptés en 2017 en introduisant un certificat médical obligatoire pour les mannequins, tandis que les géants du luxe LVMH et Kering ont signé la même année la charte s’engageant à supprimer de leurs demandes de casting la taille 32. Des mesures peu suivies d’effet. Mais pour Ekaterina Ozhiganova, l’interdiction du 32 ne veut pas dire grand-chose, car les tailles varient en fonction des maisons et les vêtements du 34 peuvent tailler petit.
Les canons de beauté masculine ont également changé. Hermès réalise ainsi pour les défilés les vêtements en taille 48, a récemment raconté Véronique Nichanian, styliste des collections homme depuis trente-cinq ans. « Quand j’ai commencé dans la mode, la taille mannequin était 52 (…) La norme sexy à l’époque, c’était le beach boy musclé ! », a-t-elle souligné à Libération.
Pour Paolo Volonté, il est plus facile de produire à l’échelle industrielle pour des corps minces et plats. « La technique de notation par taille signifie que vous commencez par une taille zéro et que vous progressez à l’aide d’un algorithme. Mais cela ne fonctionne pas pour les grandes tailles, car la graisse et les muscles » n’obéissent pas à l’algorithme, souligne-t-il. « Il est beaucoup plus coûteux de produire et de vendre des vêtements dans des tailles plus grandes, cela nécessite beaucoup plus de savoir-faire. »
Un univers qui ne « changera jamais en profondeur »
La haute couture, avec son principe de sur-mesure, s’en sort mieux, souligne le couturier français Julien Fournié qui a, par exemple, fait défilé des femmes enceintes. Sa mannequin fétiche Michaela Tomanova a un corps de femme et « six centimètres partout plus que les autres ».
Les mannequins plantureuses qu’on voit un peu plus visent à « montrer que la marque est inclusive », mais « en fait il s’agit de préserver un système basé sur la tyrannie de l’idéal mince », affirme Paolo Volonté, qui enseigne la sociologie de la mode à Milan. Julien Fournié n’est guère plus optimiste : « La mode reste la mode, c’est un monde fantasmé qui ne changera jamais en profondeur. »